2. Du vivant sur la scène


Au fil de ma production plastique, je deviens une spectatrice de spectacles assidue. Il y a l’image circonscrite par les bords du tableau et l’image circonscrite par les bords du cadre scénique. Mais une question devient insistante : pourquoi donc est-ce que j’aime tant regarder ces images ? À chaque question sa méthode : j’entreprends une recherche à l’Université de St Denis, dans le laboratoire d’ethnoscénologie du département des Arts de la scène. L’ethnoscénologie étudie les pratiques spectaculaires et performatives humaines par une approche anthropologique de l’esthétique. La spectatrice aux mains sales que je suis juge être au bon endroit pour poser ma question. Mon mémoire émet l’hypothèse que les pratiques scéniques sont la manifestation d’un phénomène d’ordre vital pour l’individu. Rien que ça. Vu que le spectacle semble fortement lié à la vie, j’en viens rapidement à me demander si ce n’est pas plutôt la vie qui développe une forme nommée spectacle pour répondre à des besoins qui lui seraient propres. Alors je me plonge dans l’éthologie pour savoir si une pratique relevant de l’esthétique pourrait servir le bon déroulement de la vie. L’éthologie consiste, par une méthode scientifique, en une étude du comportement des êtres vivants. Voilà du concret. Fidèle à moi-même, j’approfondis donc ma recherche sur la nature de la pratique artistique, non pas en la cantonnant à la restrictive notion de culture, mais en cherchant dans le vivant, dans l’organique.

Si on envisage le spectacle comme un phénomène, dans quelle mesure l’éthologie apporte des éléments de réponses sur la raison d’être de sa pratique ? Finalement, les praticiens du spectacle et les éthologues ont un point commun : ils regardent des êtres vivants agir. À la différence près que le spectacle consiste en une pratique relevant de l’esthétique. C’est parce qu’elle construit un savoir basé sur l’observation du vivant que l’éthologie mérite d’être interrogée quant à la nature du phénomène spectaculaire. Mais elle ne peut pas fournir de réponse précise sur la raison d’être du phénomène spectaculaire tel que je l’aborde. Là, je butte sur la complexité. J’en arrive donc à la conclusion néanmoins précieuse que ce que l’éthologie met en évidence sur le spectacle est précisément son aspect vivant. Comme dirait l’autre, je n’ai finalement découvert que ce que je pensais déjà. Mais la bonne nouvelle, c’est que de leur côté, certains éthologues émettent l'hypothèse de l'existence d'une fonction propre au sentiment esthétique. Mais les modalités qui lieraient le vivant à un sentiment esthétique restent inaccessibles. Il faudrait comprendre la nature du plaisir esthétique. Et désormais, je me demande bien dans quelle mesure la perception du beau possèderait une certaine efficacité sur l'homme, un peu comme un bel habit nous donne le sentiment d’être soi-même beau.