4. Mise en scène : le détournement


Le texte est central dans les choix de mise en scène.
Il est l’axe qui, en filigrane, module le rythme, lie et négocie la place de l’image, de la couleur, du son, du corps et la prise de l’espace sur scène. L’enjeu étant de faire coexister ces éléments en un ensemble cohérent. Dans cette perspective, Isabelle Angotti joue le rôle de regard extérieur et d’accompagnement au fil de l’évolution du projet. Grâce à sa connaissance pratique de la scène comme assistante à la mise en scène et comme interprète, elle apporte à ce projet un point de vue expérimenté et critique. Car Marie oscille entre des états contradictoires. Et c’est de ce va-et-vient omniprésent, de ces respirations presque absentes, de cette introspection systématiquement renouvelée, que la mise en scène se détournera précisément. Le but est de prendre la distance nécessaire pour s’amuser de cette intimité assenée, le risible n’étant pas moins véritable. Marie voudrait bien déplacer les montagnes. Mais elle ne fait que marcher sur la montagne dont elle parle. Qui sait si finalement cette montagne ne tremble pas légèrement sous ses pas agités ? « Je suis en instance comme un plongeur au bord. C’est devant que ça se passe. Regarde voir les yeux bien devant. Respire. Voilà comme ça. Déconstruis encore. Faudra reconstruire. J’ai l’esprit qui flotte franchement. Je ne me concentre pas. J’ai le corps éclaté. J’ai le corps qui va lâcher. Le temps passe sur moi. Souffle. M’extraire. M’extraire. M’extraire. Souffle. J’attends. J’attends. Ca pique le ventre. Sur le départ. Je le sens. Je sens le départ dans mon ventre. Je suis engagée. Tiens donc. J’ai le ventre qui va partir. Je vais sauter. Ça y est. Là je suis sur le bord du bac. Engagée. C’est le bord du bac qui glisse. Faut faire attention. Chaque chose en son temps. Je vais sauter. Je n’aime pas sauter. Je vais sauter. Ca sent le chaud non ? Je vais sauter. Il va falloir sauter. »

Marie n’est pas très grande. Elle n’est pas petite non plus. Elle mesure sa force à l’aune de sa faiblesse. Elle ose poser le pied à l’aveugle, consciente du danger mais résolue. Pas à pas. « Ça m’occupe, le danger. » dit-elle. Il faut qu’il se passe de petits évènements. Des petites choses, pas grand-chose. Il se passe quelque chose en tout cas. Peut-être des actions hors propos, peut-être que quelques objets empilés tombent en chutes répétées. Peut-être que la manipulation vaine de petits objets instables les font systématiquement tomber d’où Marie les pose. Car Marie est sûrement maladroite.

Décaler, emmener le spectateur hors du texte sans ôter la réalité de son propos par des dispositifs à expérimenter. La mise en lumière en est le principal. Elle permet d’immerger le texte dans des bains de couleur, pour le détourner ou, à l’inverse, lui donner la place d’être entendu. Il y a des valeurs à explorer au gré de son orientation propre. Voir ce que donne une peine profonde soumise à des orangés, des roses ou des parmes par exemple. « Et j’ai taillé les arbres. J’ai taillé. Le soleil sur mon visage. Les mains sèches. Taillé. La terre toute molle. La terre. La sueur. La terre. Le retour. Encore une fois. Remis dans la terre. Rentrée. Là. Les deux pieds plantés dans le sol. Des oignons qui fleuriront. Enfin, j’espère. Le temps passe entre les yeux. Les pieds dans la terre. Je suis là. L’été est à ma porte. C’est fini l’hiver ! Poser les pieds sur le carrelage bouillant et sec de soleil. Les yeux fermés à l’aveugle du soleil qui sonne. Taillé court. Mes pieds patinent sur le carrelage tellement ils sont secs. Il y a l’été, c’est promis. Latence de l’après-midi silencieuse. À tâtons ma main sur le mur qui pique. De m’étirer comme un petit chien que l’abondance saoule. La terre. L’été chaud. Si chaud l’été qui m’écrase. Molle. Le tissu qui glisse lâche. Sec. Le sol vide irradie. Emane. Glisse sec la terre. Je suis rentrée ».